« Forme de Dieu » et « Forme de Serviteur » (1)
5 Μαρτίου 2010
« Ayez en vous les sentiments mêmes qu’on doit avoir dans le Christ, lui qui était de forme divine ne s’est pas prévalu de son égalité avec Dieu ; il s’est dépouillé lui-même, prenant forme d’esclave et se faisant semblable aux hommes. Ayant ainsi revêtu l’aspect d’un homme, il s’est abaissé plus encore en se rendant obéissant jusqu’à la mort et la mort sur la croix. Aussi Dieu l’a-t-il souverainement exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, aux deux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue professe que Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Ph2, 5,11). Ancore…
Ce célèbre passage « kénotique » de l’épître aux Philippiens définit l’exinanition du Verbe : étant dans la « forme de Dieu », c’est-à-dire dans la condition même de Dieu, étant de nature divine, il s’est vidé, dépouillé, humilié en prenant la condition de serviteur. Le Fils de Dieu, par un prodigieux abaissement, par le mystère de sa kénose, descend dans une condition anéantissante (au sens non du rien originel mais du gouffre méonique ouvert par la déchéance de l’homme) ; il unit paradoxalement à la plénitude intégrale de sa nature divine l’implénitude non moins intégrale de la nature humaine.
Ce passage doit être rapproché du texte d’Isaïe sur « l’homme de douleurs », sur la prédiction scandaleuse pour tant d’Israélites non d’un Messie de gloire, mais d’un « Serviteur de Yahvé » souffrant et humilié, se livrant en silence au « sacrifice expiatoire », et « transpercé pour nos infidélités » (Is 53).
Saint Cyrille d’Alexandrie s’est longuement interrogé sur cette « kénose » divine. Dieu, dit-il, n’a pas pu en s’incarnant se dépouiller de sa nature, sinon il ne serait plus Dieu, et l’on ne pourrait plus parler d’Incarnation. C’est que le sujet de la kénose n’est pas la nature divine, mais la personne du Fils. Or la personne s’accomplit dans le don de soi : elle se distingue de la nature, non pour « se prévaloir » de sa condition naturelle, mais pour se renoncer totalement ; c’est pourquoi le Fils « ne s’est pas prévalu de son égalité avec Dieu » mais « s’est dépouillé lui-même au contraire », ce qui n ‘est pas une décision soudaine ni un acte mais la manifestation de son être même, de sa personne, ce qui n’est pas non plus une volonté propre, mais sa réalité hypostatique même comme expression de la volonté trinitaire, volonté dont le Père est la source, le Fils la réalisation obéissante, l’Esprit l’accomplissement glorieux. Il y a donc une profonde continuité entre l’être personnel du Fils comme renoncement et sa kénose terrestre. Abandonnant une condition glorieuse dont il ne s’est jamais « prévalu », il accepte la honte, l’ignominie, la malédiction. Il assume les conditions objectives du péché, il se soumet à notre condition mortelle. Se dépouillant de ses prérogatives royales, il enfouit de plus en plus sa gloire dans la souffrance et dans la mort. Car il lui faut découvrir en sa propre chair combien l’homme qu’il a créé à son image parfaitement belle s’est enlaidi par la corruption.
La kénose est donc l’Incarnation dans son aspect d’humilité et de mort. Mais le Christ garde complètement sa nature divine et son exinanition est volontaire : en restant Dieu il accepte de devenir mortel ; car le seul moyen de vaincre la mort fut de la laisser pénétrer en Dieu même où elle ne pouvait trouver nulle place.
Sources: Textes extraits du périodique « La Vie Spirituelle », éditions du Cerf, Novembre-décembre 1987. 67e année. N° 677. Tome 141 & Icônes de Léonide A. Ouspensky et du Moine Grégoire Krug, amis de V. L., extraites de l’ouvrage “L’iconographie de l’église des Trois Saints Hiérarques”, Paris 2001.