Les deux « monothéismes » (4)
26 Φεβρουαρίου 2010
Le christianisme libère l’homme de ces deux limitations, en révélant pleinement, à la fois, le Dieu personnel et sa nature. Il accomplit ainsi le meilleur d’Israël et le meilleur des autres religions ou métaphysiques, non comme une synthèse culturelle, mais dans le Christ et par le Christ : en lui en effet s’unissent l’humanité et la divinité, et la nature divine se communique à la nature humaine pour la déifier : c’est la réponse à Israël. Mais le Fils est consubstantiel au Père et à l’Esprit, et c’est la réponse aux métaphysiques impersonnelles : la nature divine n’est pas au-delà de la personne; sa plénitude, au contraire, réside dans la communion des Personnes divines, et sa communication à l’homme se fait par une communion personnelle.
Mais ces réponses sont difficiles à entendre et cet accomplissement dans le Christ est aussi « scandale » et « folie ».
– « scandale pour les Juifs » : comment l’Unique, le Transcendant, le Dieu sans commune mesure avec l’homme, aurait-il un Fils, lui-même Dieu, et pourtant homme, humilié et crucifié ?
– « folie pour les Grecs » : comment l’absolu impersonnel s’incarnerait-il en une personne, comment l’immobile éternité entrerait-elle dans le temps ? Comment Dieu deviendrait-il ce qu’il faut justement dépasser pour se fondre en lui ?
Ainsi le christianisme à la fois accomplit et scandalise. Mais quelle que soit l’attitude des «grecs » et des « juifs » qui refusent le Christ, dans l’Église, c’est-à-dire dans le corps de ce Verbe qui récapitule toutes choses, reprend, purifie et met à sa juste place toute vérité, il ne doit y avoir nulle différence entre grecs et juifs.
Deux dangers apparaissent ici : le premier, c’est que le théologien soit un « grec » dans l’Église, qu’il se laisse dominer par ses modes d’expression au point d’intellectualiser la révélation, et de perdre à la fois le sens biblique du concret et ce caractère existentiel de la rencontre avec Dieu que recèle l’apparent anthropomorphisme d’Israël. A ce danger qui va de la scolastique aux érudits du XIXe siècle correspond à notre époque un danger inverse : celui d’un biblicisme quelque peu « construit », qui veut opposer la tradition hébraïque à la « philosophie grecque » et tente de refaire la théorie dans des catégories purement sémitiques.
Mais la théologie doit être d’expression universelle. Ce n’est pas par hasard que Dieu a placé les Pères de l’Église dans un milieu grec ; l’exigence de lucidité de la philosophie et l’exigence de profondeur de la gnose les ont contraints à purifier et à sanctifier le langage des philosophes et des mystiques pour donner au message chrétien, qui inclut mais dépasse Israël, toute sa portée d’universel.
Sources: Textes extraits du périodique « La Vie Spirituelle », éditions du Cerf, Novembre-décembre 1987. 67e année. N° 677. Tome 141 & Icônes de Léonide A. Ouspensky et du Moine Grégoire Krug, amis de V. L., extraites de l’ouvrage “L’iconographie de l’église des Trois Saints Hiérarques”, Paris 2001.